Graciela Iturbide: la grâce et le tourbillon d’une œuvre sublime

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Cristina tomando photos, White Fence, East L.A. (Estados Unidos), 1986 / © Graciela Iturbide

Par Wilson OSORIO

Ce ne sont pas seulement ses photos qui nous permettent de pénétrer dans des univers divers. Ce n’est pas uniquement son regard qui nous aide à percer les mystères de symboles, de rituels, de visages et de corps, de paysages, d’objets… C’est bien grâce à l’œil clairvoyant de la Mexicaine Graciela Iturbide, à sa sensibilité, tendresse et altruisme, à sa personne, que nous embrassons avec joie une œuvre photographique où le medium, les sujets, le regard et l’humain convergent pour nous faire contempler et vivre notre monde autrement. Heliotropo 37, à la Fondation Cartier, jusqu’au 29 mai 2022. Précipitez-vous, vous ne serez pas déçus!

C’est la première grande exposition en France consacrée à l’ensemble de l’œuvre de Graciela Iturbide, des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Depuis plus de 50 ans, elle crée des images qui oscillent entre approche documentaire et regard poétique. Cette rétrospective présente ces deux versants et en offre ainsi une vision renouvelée. Il y a notamment un grand nombre de photographies des personnes qu’elle rencontre ou des objets qui la surprennent et l’enthousiasment lors de ses différentes pérégrinations au Mexique mais aussi en Allemagne, Espagne, Équateur, Japon, États-Unis, Inde, Madagascar, Italie, Argentine, Pérou, Panama… «J’ai cherché la surprise dans l’ordinaire, un ordinaire que j’aurais pu trouver n’importe où ailleurs dans le monde».

Graciela Iturbide habite au numéro 37 de la calle Heliotropo à Mexico. Calle est bien rue. Que le nom de l’exposition nous donne d’emblée l’adresse de l’artiste est déjà un bon augure. Nous sommes dans la personnalisation, dans l’intime, chez-elle. Œuvre et créatrice, pas de distance. En parcourant le rez-de-chaussée du superbe bâtiment de Jean Nouvel, où se déploie la première partie de l’exposition dont le scénographie est conçue par Mauricio Rocha (fils de la photographe), notre regard zigzague entre le noir et blanc sublime des photographies et le jardin extérieur. Mais la couleur fait aussi acte de présence ici: le bleu du ciel et le blanc de l’albâtre. Il s’agit de la seule série photographique en couleur de l’artiste (fait rare dans sa carrière) réalisée spécialement pour l’exposition.

Pour se retrancher dans la solitude et l’intime, il faut descendre un étage. Lumière naturelle au rez-de-chaussée, éclairage tamisé au sous-sol. Nous sommes ici dans l’espace privé de la photographe, l’intérieur de sa maison, ses objets, ses libres, ses plantes. Nous pouvons fureter dans son salon et patio grâce à la série photographique de Pablo López Luz réalisée au numéro 37 de la calle Heliotropo. Poursuivons maintenant notre chemin. Il nous emmène vers d’autres séries de la photographe où l’humain et son intimité sont fouillés du regard avec dévouement, avec une «dose de poésie et d’imagination», dixit l’artiste.

On est vite frappé par ses nombreuses images: celles d’angelitos, ces enfants décédés prématurément qui vont «droit au ciel» et qui la confrontent au décès tragique de sa propre fille à l’âge de 6 ans; celles d’indiens Seris du désert de Sonora et de femmes zapotèques aux visages expressifs et à la gestuelle éloquente; celles de cholos, ces communautés d’origine mexicaine vivant aux États-Unis; celles de chèvres abattues en suivant un rituel ancestral; celles d’eunuques travestis, de lutteurs et de prostitués en Inde et au Bangladesh; celles de la salle de bain de Frida Kahlo avec ses corsets, ses jambes orthopédiques, ses béquilles… Au sous-sol, on touche presque à l’âme de la photographe, on y est en pleine communion avec elle.

Lauréate du prix W. Eugene Smith en 1987 puis du prix Hasselblad en 2008 –la plus haute distinction photographique–, Graciela Iturbide est une figure majeure de la photographie latino-américaine. Elle s’initie à la photographie dans les années 1970 au côté de Manuel Álvarez Bravo (cet autre grand photographe Mexicain mort en 2002) qu’elle suit dans ses voyages, dans les villages et les fêtes populaires mexicaines. Il devient le mentor de la jeune photographe et partage avec elle sa sensibilité et son approche humaniste du monde.

«Peu importe où va le photographe car il peut trouver ce qu’il cherche au coin de la rue. Mais, en tant que personne, il est fascinant d’observer la culture d’autres pays car c’est celle qui vous aide à découvrir l’objet de votre quête».

 

Infos pratiques

 

261, boulevard Raspail 75014 Paris
Jusqu’au 29 mai 2022
Site internet