Mikhaïlov : des sujets controversés et des photos sans concession

De la série « Dance », 1978 / © Boris Mikhaïlov

L’un des photographes les plus influents de sa génération. Depuis les années 60, Boris Mikhaïlov (Kharkiv, 1938) a construit un récit photographique complexe de l’histoire contemporaine de l’Ukraine. Son travail, à la lumière des événements actuels, est poignant et éclairant. Jusqu’au 15 janvier 2023, la Maison européenne de la photographie (MEP) accroche l’exposition Journal ukrainien. Plus d’une vingtaine de ses séries photographiques, la plupart jamais vues en France. C’est l’une des expositions incontournables de la rentrée. 

 

Conçue en étroite collaboration avec l’artiste, l’exposition Journal ukrainien rassemble plus de 800 œuvres. Projections et installations monumentales, petits tirages d’époque, livres d’artiste, épreuves peintes à la main, tableaux mis en scène… La pratique pionnière de Boris Mikhaïlov est aux frontières de la photographie documentaire, du travail conceptuel, de la peinture et de la performance. L’accrochage dévoile la richesse d’une œuvre radicale croisant les techniques et les genres à mesure qu’elle scrute le visage changeant de l’Ukraine.

 

« … Les Journaux intimes de Mikhaïlov, chroniques du quotidien en Ukraine avant et après la chute de l’URSS, rappellent la richesse d’une histoire et l’infinie résilience d’un peuple. Un témoignage sensible et unique sur le destin de celles et ceux qui, chaque jour, luttent pour leur vie et triomphent contre l’adversité ». Simon Baker, directeur de la MEP.

 

L’interaction de toutes les images exposées donne naissance à une vision de l’histoire qui résonne aujourd’hui plus que jamais. Une bonne partie de séries se veut un témoignage de l’échec du communisme et du capitalisme en Ukraine et met en lumière les origines de la guerre actuelle. Trois grandes séries notamment se démarquent de l’ensemble : « The Theater Of War, Second Act, Time Out » (2013), « Case History » (1997-1998) et « Red » (1968-1975).

 

Le pouvoir subversif de l’art

Mikhaïlov et sa femme Vita signent « The Theater Of War, Second Act, Time Out ». Cette série documente l’occupation de Maidan lors de violentes manifestations inextricablement liées au conflit actuel. Le 21 novembre 2013, à la suite de la décision du président Viktor Ianoukovitch de suspendre la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne, le peuple afflue vers la place de l’Indépendance, au centre de Kiev. Sur toutes les photos, la peur se lit sur le visage des manifestants pourtant résolus à garder foi en l’avenir.

 

« Case History » interpelle la sensibilité du public avec des images crues et poignantes. Le titre évoque le détachement clinique de l’univers médical. De retour à Kharkiv après une année passée à Berlin, Mikhaïlov découvre une ville radicalement transformée par le post-communisme. Une nouvelle élite de millionnaires a pris le pouvoir, tandis que la grande majorité de la population a basculé dans la pauvreté. 400 portraits sans fard et pleins de compassion composent un requiem pour une nation désenchantée.

 

Dans « Red », Mikhaïlov souligne l’omniprésence du rouge, la couleur associée au communisme : qu’elle soit patriotique (un drapeau, une affiche, une parade militaire) ou banale (une tomate, la porte d’un garage, des ongles vernis, un foulard). L’artiste signale métaphoriquement l’emprise de l’idéologie communiste sur la société ukrainienne.

 

Par son traitement sans concession de sujets controversés, Boris Mikhaïlov démontre le pouvoir subversif de l’art. Il réconcilie l’humour et le tragique et ne cesse de défendre la liberté de création. La photographie est pour lui un moyen d’émancipation et de résistance face à toute forme d’oppression. Pour l’artiste, même les sujets les plus sérieux ont un côté profondément comique, et chaque blague est profondément sérieuse.

 

Biographie

Ingénieur de formation, Boris Mikhaïlov est un photographe autodidacte. Au début de sa carrière, l’usine qui l’emploie lui confie un appareil photo pour documenter l’entreprise. Il profite pour réaliser des nus érotiques de sa femme et développe les tirages sur son lieu de travail. Suite à la découverte par le KGB des photos, il se fait renvoyer immédiatement. Déterminé par cet événement, il se consacre exclusivement à la photographie.