Un regard décentré: les pionnières de la diversité en peinture

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Mela Muter, Nu cubiste, 1919-1923 / © Desa Unicum - Marcin Koniak (photo)

La nouvelle exposition du Musée du Luxembourg (6e) se veut aussi foisonnante que les années 1920, les bien nommées «années folles». Elle rend hommage à toutes les artistes femmes venues à Paris du monde entier et qui ont occupé un rôle primordial dans l’art moderne. Pionnières. Artistes dans le Paris des Années folles met en avant leur contribution majeure et explore des sujets déjà portés par elles et qui bénéficient aujourd’hui d’un vigueur incontestable: la spécificité du regard féminin, la fluidité des genres, le combat pour la diversité… Vite, réservez jusqu’au 10 juillet 2022. On aime à la folie!

L’exposition présente 45 artistes travaillant aussi bien la peinture, la sculpture, le cinéma, que des tableaux textiles, poupées et marionnettes. Des créatrices connues comme Suzanne Valadon, Tamara de Lempicka, Marie Laurencin côtoient des figures oubliées comme Mela Muter, Anton Prinner, Gerda Wegener. Ces femmes viennent d’autres continents où certaines exporteront ensuite l’idée de modernité: Tarsila Do Amaral au Brésil, Amrita Sher Gil en Inde ou Pan Yuliang en Chine.

L’exposition convoque artistes et femmes de l’art, amazones, mères, androgynes à leurs heures et révolutionnaires presque toujours… Elle les rassemble toutes dans neuf chapitres thématiques: les femmes sur tous les fronts; vivre de son art; les garçonnes; chez soi, sans fard; représenter son corps autrement; les deux amies; le troisième genre; et pionnières de la diversité.

Au-delà de poncifs colonialistes

Le sujet de la diversité est abordé dans la dernière salle de l’exposition. Nous allons la visiter ici en compagnie de la commissaire générale de l’exposition Camille Morineau. «Nous sommes dans une salle qui interroge ce qu’on appelle aujourd’hui la diversité. Ce concept n’existait évidemment pas à l’époque. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’on s’est aperçu que beaucoup d’artistes femmes vont s’intéresser à cet autre, vont essayer de sortir de poncifs colonialistes, de l’art dit colonial de l’époque, et vont réinventer ou représenter plus correctement cet autre». Par «cet autre» on entend bien les colonisés.  

Mme Morineau nous plonge ensuite dans le grand tableau Picnic américain (1918) de Juliette Roche. «Elle représente au centre du tableau un accord entre les différentes races: amérindienne, noire et blanche, avec une frise de personnages à la peau rouge qui fait évidemment penser à La Danse (1910) de Matisse. Et puis, tout à fait à la droite, un couple de femmes, dont l’artiste elle-même qui nous regarde. Elle mélange donc un couple homosexuel, un couple hétérosexuel et l’accord des races….

«Dans cette salle, on a aussi des personnages très intéressants. Quelqu’un comme Amrita Sher-Gil, d’origine hongroise et indienne, vient se former à Paris puis repart en Inde et déclare «Je vais être le Picasso de l’Inde et je vais faire un art indien». Elle peint le magnifique Autoportrait en Tahitienne. Elle se représente en Tahitienne, référence à Gauguin, alors qu’elle est Indienne. Mais ce qui est intéressant, c’est que dans le fond du tableau on a des motifs japonais. C’est donc une espèce de mélange de l’Ouest, du sud de l’Asie, de syncrétisme, que je trouve assez prémonitoire des temps qu’on vit aujourd’hui», précise Marineau face au tableau de Sher-Gil.

Une large palette de couleurs

La Brésilienne Tarsila Do Amaral –une vraie star dans son pays aujourd’hui– est aussi venue à Paris et a à son retour emporté avec elle la modernité qu’elle appelait l’«anthropophagisme». Pourquoi ce mot? «Parce qu’il s’agissait de digérer la modernité occidentale et régurgiter d’une certaine manière un art qui soit typiquement brésilien», répond Marineau. Elle décrit ensuite le tableau La Famille (1925) où Do Amaral peint les peaux des personnages avec une large palette de couleurs, ce qui représente les différentes catégories de métissages des Brésiliens.

Deux artistes Françaises exceptionnelles sont également exposées dans cette salle. Anna Quinquaud et Lucie Cousturier ont beaucoup voyagé et se sont nourries de tous leurs voyages. La première a visité l’Afrique à plusieurs reprises et rapporté en France de nombreux dessins et sculptures inspirés des Peuls (un peuple de pasteurs établi dans une quinzaine de pays de l’Afrique de l’Ouest). «Elle représente leurs beaux visages et leurs coiffures tressées de manière très spécifique et avec beaucoup d’empathie et de bienveillance. C’est vraiment nouveau dans les années 1920. Ce n’est pas de l’art dit colonial, c’est vraiment la représentation de l’autre dans son identité», ajoute Mme Marineau en pointant les trois sculptures de l’artiste: Chef Foulah (1930), Portrait d’une jeune négresse (1930) et Nénégalley, fille de Tierno Moktar (1930).

Lucie Cousturier, quant à elle, est une peintre hors du commun. Deux de ses aquarelles Nègre écrivant (sans date) et Femme Kissienne (avant 1925) sont accrochées dans cette salle. Elle est aussi une écrivaine qui s’est intéressée à des tirailleurs Sénégalais qui habitaient dans son quartier à Paris. En 1920, elle a écrit un premier livre intitulé Des inconnus chez-moi. Puis, elle va se rendre au Sénégal et écrire un deuxième Mes inconnus chez eux: mon ami Fatou (1925), et encore un troisième Mes inconnus chez eux: mon ami Soumaré (1925). «On voit bien qu’elle essaie de changer de perspective et de se placer à l’extérieur pour pas que cet extérieur devienne un exotisme, un colonialisme», raconte admirative la commissaire.

C’est justement la réflexion autour du décentrage, du changement de perspective, qui a inspiré ce dernier chapitre thématique de l’exposition. «Pourquoi les artistes femmes s’intéressent plus à la représentation de la diversité que les hommes?», se demande Mme Marineau. «Probablement parce qu’elles sont elles-mêmes dans la périphérie, elles ne sont pas au centre de l’histoire… Elles le savent malgré tout… Et donc, elles vont s’intéresser à ce décentrement géographique, travailler ce changement de perspective et essayer de créer des langages, des vocabulaires nouveaux».

 

Infos pratiques

 

19, rue de Vaugirard 75006 Paris
Jusqu’au 10 juillet 2022
Site internet