En parcourant Oskar Kokoschka, un fauve à Vienne, on traverse le 20e siècle européen. Tableau après tableau, le vieux continent défile devant nos yeux : l’histoire, les paysages, les guerres, les villes, les bouleversements, les portraits… Le musée d’Art moderne (16e) retrace sept décennies de création picturale de l’artiste. Jusqu’au 12 février 2023, partez en voyage à côté de ce « Grand européen » et, à coups de pinceau, pénétrez son art plein d’originalité et d’engagement.
Cette première rétrospective parisienne réunit les 150 œuvres les plus significatives de l’artiste. Oskar Kokoschka est né en Autriche en 1886 et mort en Suisse presque un siècle plus tard, en 1980. Entre ces deux pays et entre ces deux dates se déroule un parcours personnel et artistique unique. Peintre, mais aussi écrivain, dramaturge et poète, son engagement transparaît dans chacune de ses œuvres. Il conçoit l’artiste comme témoin essentiel de son temps et de ses transformations.
Kokoschka s’engage dans l’armée au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Plus tard, il prend parti publiquement contre Hitler et devient une cible privilégiée des nazis. Ils font de lui le représentant d’un « art dégénéré ». Contraint à l’exil, il parvient à fuir en Grande-Bretagne en 1938 où il prend part à la résistance internationale. Après la Seconde Guerre mondiale, il participe à la reconstruction culturelle d’un continent dévasté et travaille pour la réconciliation européenne.
Voyageur infatigable
Dans les années 1920, Kokoschka entreprend d’incessants périples en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Les paysages, vues urbaines, portraits d’hommes et d’animaux tranchent avec le style qu’il expérimentait auparavant. La matière est fluide, la palette élargie par de nouveaux rapports de couleurs et les touches enlevées. La recherche de lieux spectaculaires pour peindre est pour lui l’occasion de rencontrer des personnages hors du commun.
La soif de découvertes de Kokoschka s’accorde à un désir de connaissance du monde. L’artiste lie clairement le désir d’évasion au traumatisme de la traversée de la Première Guerre mondiale. « J’ai alors pensé : “Si j’arrive un jour à m’extraire de cette vie de rat, je peindrai des paysages”. Je n’ai presque rien vu du vaste monde, alors je veux aller partout où se trouvent les racines de ma culture, de ma civilisation, qui remonte aux Grecs et aux Romains. Il faut que je voie tout cela ».
Précisément, l’artiste explore les tragédies grecques et les récits mythologiques afin d’y trouver le ferment commun des sociétés européennes. De la légende de Prométhée à la pièce Les Grenouilles d’Aristophane, il recherche des moyens d’analyser l’après-guerre.
Les premières productions d’Oskar Kokoschka ont constitué un choc pour le public et la critique. On le qualifiait d’« Oberwildling », le plus sauvage d’entre tous. Pourtant, les œuvres des dernières années témoignent d’une radicalité proche de ses premières œuvres. Sa croyance dans la puissance subversive de la peinture, vecteur d’émancipation et d’éducation, demeure inébranlable jusqu’à sa mort.
Un artiste et une œuvre bien ancrés dans l’air du temps. La peinture de l’enfant terrible de Vienne exhibe les couleurs d’aujourd’hui, de ce présent incertain que nous vivons. Le monde dans lequel il a vécu n’est pas très éloigné du notre. Une exposition prémonitoire ?