Albert Kahn: la légende derrière le nouveau musée

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Georges Chevalier, Albert Khan au balcon de sa banque, Paris, 1914 © Musée départemental Albert Khan

Déambulation, contemplation et découverte. Un village et un jardin japonais. Une exposition permanente «Le Monde d’Albert-Kahn». Une collection de photographies et de films exceptionnelles. Un jardin à l’anglaise. Une exposition temporaire «Autour du monde…». Après six années de travaux, le nouveau musée départemental Albert-Kahn ouvre ses portes à Boulogne Billancourt (92100) à partir du 2 avril 2022. L’œuvre du banquier philanthrope est célèbre. En revanche, son parcours personnel reste peu connu. Coup de projecteur sur une figure extraordinaire à la personnalité fort discrète.

Albert Kahn (1860-1940) rendait –et rend toujours aujourd’hui– le monde accessible. À portée de main, lors de promenades dans le somptueux jardin: du Japon à l’Angleterre en passant par une forêt vosgienne et un jardin sauvage. Et à portée d’images, lors de séances de visionnage des Archives de la Planète: un voyage à travers les différentes réalités culturelles d’une cinquantaine de pays enregistrées en pellicule, autochromes et plaques stéréoscopies entre 1909 et 1931.

Abraham Kahn est né le 3 mars 1860 à Marmoutier, dans le Bas-Rhin. Il est l’aîné de quatre enfants dans une famille de commerçants juifs. Son père est marchand de bestiaux. Sa mère décède alors qu’il n’a que dix ans et avant le début de la guerre qui aboutira à l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne. Il décide de monter à Paris à 16 ans, reprend plus tard la nationalité française et change son prénom pour se faire désormais appeler Albert.

En quelques années, de 1889 à 1893, il bâtit une fortune en spéculant tout d’abord sur les mines d’or et de diamants d’Afrique du Sud. Parallèlement, il collabore à des syndicats de placement dans des projets industriels ou des emprunts internationaux (japonais, sud-américains). En 1892, il devient associé de la banque des frères Goudchaux. Six ans après, Albert Kahn monte sa propre banque et consacre aussitôt une partie de ses revenus à son idéal: permettre à l’humanité entière de progresser.

En 1892, il loue un hôtel particulier au 6, quai du Quatre-Septembre, à Boulogne-sur-Seine. En 1895, il achète cette demeure et quatre hectares de terrain et commence la construction de son jardin. Soucieux de dialogue entre les peuples et les cultures, il fait aménager un jardin de scènes typique du XIXe siècle. L’esprit du projet originel peut être encore aperçu aujourd’hui.

En tant qu’homme d’affaires, Albert Kahn est amené à faire de nombreux voyages à l’étranger. Mais également dans le cadre de ses propres explorations du monde. Il entrepris, fin 1908 et depuis la France, une traversée de l’Atlantique. Il visite les États-Unis, le Japon et la Chine. Le retour, il le fait à travers la Malaisie, le Sri Lanka, le canal de Suez jusqu’aux rivages méditerranéens. Ce périple dure quatre mois et est rigoureusement documenté.

Il est rare à l’époque d’être en lien régulier avec d’autres pays et d’observer que nombre de heurts se basaient sur des malentendus, qu’un resserrement des contacts entre les peuples pourrait atténuer. Des hommes comme Albert Kahn faisaient leur possible pour multiplier les relations et favoriser une meilleure compréhension mutuelle des nations. Mais pas seulement. Dans le plan politique, il défendait aussi des principes tels que la redistribution des richesses dans l’intérêt général, l’attachement aux valeurs républicaines, l’éducation, le pacifisme…

«La pensée propre à Albert Kahn s’affermit et naît un vaste projet, de nature politique. Une fois suffisamment mûr pour être formulé, ce programme est écrit dans un opuscule: Des droits et devoirs de gouvernements, achevé en 1918. Kahn y constate que les institutions humaines sont «insuffisantes». Aucun régime politique n’est plus adapté à un monde de plus en plus interdépendant, qui nécessite désormais de penser et d’agir à l’échelle mondiale, selon les principes d’association et de solidarité». Ainsi décrit Anne Sigaud, chargée de recherche du musée, la portée de l’engagement du philanthrope.

De 1898 à 1931, Albert Kahn crée diverses fondations pour favoriser l’entente entre les peuples et la coopération internationale. Parmi les plus célèbres les «Archives de la planète» et les bourses «Autour du monde». Ces dernières permettaient à de jeunes agrégés, hommes et femmes, de découvrir différents pays. Le but était d’enrichir leurs compétences et leur futur enseignement par la connaissance directe du monde. Avec ses diverses fondations, Kahn cherchait à appréhender l’humanité dans sa complexité, convoquer tous ses aspects –biologique, sociologique, politique, économique, géographique…– et favoriser le décloisonnement disciplinaire.

«Nos fondations, conçues, ébauchées ou réalisées depuis 1897, ont eu en conséquence pour objet d’enregistrer [l’activité universelle] en vue d’en dégager l’esprit et delà, grâce à la Documentation ainsi constituée, de guider les Aspirations de l’Homme», écrit Albert Kahn dans Nos Fondations, le 28 mars 1932.

Au début des années 1930, les conséquences du krach boursier de Wall Street entraînent la ruine d’Albert Kahn et mettent un coup d’arrêt à l’ensemble de son action. À partir de 1936, le département de la Seine acquiert aux enchères le domaine de Boulogne et les collections iconographiques. Cet ensemble constitue le socle des collections aujourd’hui conservées par le musée. Le mécène ruiné a eu la jouissance de sa maison jusqu’à sa mort survenue en 1940.

L’homme qui avait pris la défense de la recherche de la paix universelle et du dialogue entre les cultures meurt au début d’une guerre qui va déchirer l’Europe. Cependant, l’œuvre entreprise par Albert Kahn et tous ses collaborateurs a permis de mettre en germe de nouvelles orientations sociales et politiques, à l’échelle nationale comme internationale, qui se développeront dans la seconde moitié du XXe siècle.

Un dernier paradoxe. Au moment de l’achat du domaine et des collections d’Albert Kahn, il est difficile pour l’acquéreur de comprendre la pertinence du projet dans son ensemble. Certains éléments, considérés indépendamment les uns des autres, sont revendus, d’autres détruits. Aujourd’hui, le musée départemental Albert Kahn ouvre grand ses portes et offre au public l’héritage patrimonial et philosophique de ce banquier philanthrope devenu légendaire.

 

Infos pratiques

 

2, rue du Port 92100 Boulogne-Billancourt
Depuis le 2 avril 2022
Site internet