Wilson OSORIO / Directeur PARISCOSMOP
Peu de gastronomies internationales se sont répandues de manière si fulgurante dans le monde. En même temps, peu d’entre elles ont expérimenté un si haut degré de déformation au grand désespoir des gouvernements nippons successifs. La preuve : l’offre de restaurants japonais à Paris est tellement foisonnante qu’il est très facile de se tromper de choix. À défaut de chiffres officiels, une recherche rapide sur les Pages jaunes dénombre près de 1 000 restaurants japonais à Paris. Mais pour les autorités japonaises, le nombre de « vrais » n’arrive pas à 100. Résultat : seul 1 restaurant japonais sur 10 serait digne de ce nom. Entre « vrais » et « faux », comment un public non-averti peut-il faire la distinction ?
Vous n’êtes pas au bon endroit si…
Un Japonais peut identifier d’un seul coup d’œil un « vrai » restaurant japonais. Le reste des mortels a besoin de quelques leçons pour démasquer les « faux ». Patrick Duval, auteur de « Itadakimasu, Le guide des meilleurs restaurants japonais » (Thema Press, 2008) donne quelques points de repères. La décoration extérieure en dit déjà beaucoup. « Les Japonais peignent rarement leur façade avec des couleurs vives comme le bleu ou le rouge ». Si la carte n’est qu’en français et si les rouleaux de printemps ou les brochettes de fromage côtoient les sushis, il faudrait s’en méfier.
Si une fois à table, on vous apporte de serviettes chaudes parfumées et un apéritif à la rose, c’est un mauvais signe. Vous n’êtes pas au bon endroit si on vous sert une petite salade au chou vinaigré ou une soupe miso avec des champignons de Paris. Ou si on vous propose de la sauce soja sucrée pour accompagner les sushis. Dans un « vrai » restaurant japonais, on vous servirait plutôt une salade d’algues, d’épinards et de germes de soja. Quant à la soupe miso, elle ne contiendrait jamais des champignons de Paris. Et concernant la sauce soja, vous n’en aurez qu’une toute petite quantité et, bien sûr, salée pour tremper légèrement les sushis comme marque la tradition.
Le washoku est la tradition culinaire typiquement japonaise. Plutôt méconnu en dehors du Japon, il est pourtant le type de cuisine que les autorités nippones promeuvent à l’étranger. « Plusieurs ministres japonais ont fait le constat que la cuisine présentée comme japonaise et consommée à l’étranger est parfois très éloignée des plats cuisinés dans l’archipel. Ce qui inquiète certains membres du gouvernement qui cherchent à promouvoir la vraie cuisine japonaise ». Ce sont les mots de Margaux Duhem, autrice du papier À la recherche de l’authenticité, la gastrodiplomatie japonaise en France.
Japanese Food Supporter
En 2016, face au développement pléthorique des restaurants japonais hors de l’archipel et hors contrôle, le ministère japonais de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche a cru bon de mettre en place l’accréditation Japanese Food Supporter. En France, la Jetro étudie la plupart des candidatures et attribue le précieux label. Cette organisation japonaise de commerce extérieur a son siège à Tokyo et un bureau à Paris. Les conditions de certification sont au nombre de trois : utiliser des aliments ou des alcools produits au Japon, les afficher dans les cartes des menus et les promouvoir auprès des clients.
La Jetro accrédite les restaurants japonais (98 à Paris sur 134 en France), les restaurants de cuisine française aux influences japonaises (12 sur 19) et les épiceries (31 sur 56). Elle publie et met à jour régulièrement trois listes qui incluent tous ces établissements. L’étude des candidatures se fait en continu et la durée de la certification est de deux ans renouvelable sous conditions. Voici une sélection PARISCOSMOP de 7 « vrais » restaurants nippons à Paris inclus dans une des listes de la Jetro.
Le ministère japonais de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche nomme également des ambassadeurs de bonne volonté pour la diffusion de la nourriture japonaise. En France, à Paris, il y en a deux : les chefs Toru Okuda et Masayoshi Hanada. Ce ministère a aussi conçu un système mondial de certification des compétences de préparation de la cuisine japonaise à l’étranger. Il se décline en trois certificats. Or : pour ceux qui ont deux ans d’expérience dans un restaurant situé au Japon et dont le chef est Japonais. Argent : pour les diplômés d’un an d’études ou pour ceux qui ont un an d’expérience dans un restaurant au Japon. Et bronze : pour ceux qui ont réussi un test officiel après avoir suivi un cours court de cuisine japonaise.
La sushi police débarque
Ces systèmes d’évaluation ont eu un drôle de précédent dans l’hexagone. En 2006, le gouvernement nippon a mis en place un système d’évaluation des restaurants japonais en France. On envoyait dans les restaurants des équipes d’inspecteurs chargées de vérifier un certain nombre de critères. Décoration, ambiance, vaisselle, hygiène, personnel (diplômes, avoir au moins une personne parlant le japonais, culture alimentaire japonaise, propreté et comportement du cuisinier !), traduction de la carte au japonais, ingrédients, goût et présentation des plats… À la suite du rapport des inspecteurs, le restaurant obtenait ou non Le Graal, le macaron « Cuisine japonaise authentique ».
Cet extravagant système d’évaluation prévoyait même un comité d’évaluation de la cuisine japonaise. Il était composé de personnalités françaises et japonaises : entrepreneurs, journalistes, grossistes, consultants, anciens restaurateurs, journalistes, critiques culinaires, observateurs… Évidemment, cette initiative a suscité de vives protestations en France mais surtout aux Etats-Unis. La presse d’outre-Atlantique accusait le gouvernement japonais de vouloir mettre en place une véritable « police des sushis » : « Attention America, berceau du California roll, la sushi police débarque sous peu », écrivait avec humour le correspondant basé à Paris du Washington Post.
Près de 80 restaurants japonais se sont prêtés au « jeu ». Quelques-uns ont été évalués à leur insu. Un tier n’a pas rempli les critères et n’a donc pas reçu le prétendu macaron. Le gouvernement nippon a sponsorisé un site web (off-line depuis quelques années) et publié un guide papier en 2007 (introuvable actuellement), produit final de cet expérience. 50 restaurants y ont été référencés. Certains ont refusé d’y apparaître. Cette mésaventure, aujourd’hui inconcevable, reflète bien les efforts récurrents de différents gouvernements japonais pour protéger et promouvoir le washoku.
Washoku
La gastronomie japonaise est avant tout une cuisine de région (voire locale) et saisonnière. Cela est dû à la nature de l’archipel qui s’étend sur plus de 3 500 kilomètres. Elle tire ses origines des traditions des chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire et se nourrit de multiples influences.
La particule shoku du mot washoku signifie nourriture. Le préfixe wa indique quelque chose d’intrinsèquement japonais et fait référence au Japon des origines et à ses pratiques primitives. Il renvoie également à une période nommée Yamato (250 – 710), qui précède le développement de l’influence chinoise sur l’Archipel. On emploie le mot washoku pour différencier la cuisine japonaise dite « authentique » de la cuisine japonaise hybride. Cette dernière est dépositaire des influences culinaires chinoises et coréennes pendant près de deux millénaires.
Depuis 2013, le washoku fait partie de la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Il se fonde sur un ensemble de savoir-faire et de traditions millénaires. Ces dernières liées à la production, au traitement, à la préparation et à la consommation d’aliments. Le washoku favorise la consommation d’ingrédients d’origine naturelle et de production locale tels que le riz, le poisson, les légumes et les plantes sauvages comestibles. Il est un art de vivre qui va de pair avec d’autres traditions : la céramique, l’arrangement floral, l’art des jardins.
Dans le monde, le vocable « cuisine japonaise » englobe des habitudes de consommation très diverses. Et pour la plupart assez éloignées des habitudes de consommation japonaises. Par exemple, les california rolls ont été créés par un chef japonais en Californie pour adapter les makis aux ingrédients locaux. En France, les menus comprenant à la fois des sushis et des yakitoris sont une innovation locale. Ce type de repas ne conviendrait pas à un Japonais, qui le trouverait trop lourd.