«Bon courage»!, lui a lancé un ami photographe. Raymond Depardon venait de lui dire qu’il partait en Algérie pour réaliser une série de photos. C’était en 2019. Même pour le maître Depardon, se rendre en Algérie pour saisir quelques clichés est encore aujourd’hui un défi d’issue incertaine. L’histoire pèse toujours. Mais la justesse de l’exposition Son œil dans ma main. Algérie 1961-2019 est la preuve –mais aussi la métaphore– de ce que l’œil d’un photographe Français et les mains d’écrivain Algérien, Kamel Daoud, peuvent accomplir ensemble. Allez admirer ces images en noir et blanc et des textes riches en couleurs jusqu’au 31 juillet 2022 à l’Institut du monde arabe.
A l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, cette exposition offre un témoignage unique sur l’Algérie en 1961 puis en 2019, à travers le regard de deux grands artistes. Un Français, cinéaste et photographe, revisitant ses photos d’Algérie. L’autre Algérien, journaliste et écrivain, né en 1970, après l’indépendance de son pays: «qu’est-ce que je ressens, moi, décolonisé quand je contemple une photo de cette époque, de ce passé qui, sur injonction, a été décrété contemporain-pour-toujours? Qui suis-je dans ce miroir qui devrait me refléter, et qui cependant m’efface pour toujours au présent?».
«Au départ, c’étaient des photos dans un tiroir… des photos d’agence, des photos d’auteur… Elles ne sont ni algériennes ni françaises. Ces photos ne m’appartiennent plus. Elles devaient être partagées avec les autres, avec les Algériens… Elles appartiennent à l’histoire de l’humanité. Je voulais les partager», ce sont les mots de Depardon exprimés lors du vernissage de l’exposition. «L’Algérie n’a pas d’image. Je me suis efforcé de faire les plus belles photos. Il n’y a que du passé, que de l’histoire… Il y a aussi du quotidien».
Installée dans deux espaces, l’exposition présente 80 photographies de Raymond Depardon et cinq textes inédits de Kamel Daoud. Elle comprend trois sections: Alger 1961; Évian-Bois d’Avault 1961 / Oranie 1961; et Alger et Oran 2019. Dans des salles rehaussées d’un dégradé de bleus évocateur de la Méditerranée, le visiteur navigue entre les grands textes, suspendus comme autant d’installations, et ménageant une transparence qui permet de deviner les photos à travers eux. Textes et photographies sont encadres à l’identique рour en souligner l’égale importance.
En 1961, le tout jeune Raymond Depardon réalise plusieurs reportages photographiques à Alger, puis à Évian, pendant les premières négociations pour mettre fin à la guerre d’Algérie. Près de soixante ans plus tard, avec le désir de publier ces photographies dans une perspective algérienne, il rencontre Kamel Daoud. Un projet d’ouvrage а quatre mains prend forme, porté par Barzakh, la maison d’édition algérienne de l’écrivain. Raymond Depardon retourne en Algérie en 2019 et y réalise une série de photos, à Alger puis à Oran.
Raymond Depardon est l’une des grandes figures de I’agence Magnum. Multiprimé, il a réalisé des reportages dans le monde entier et tourné de nombreux films documentaires. Kamel Daoud, quant à lui, est un chroniqueur réputé en Algérie. Il s’est fait connaître du grand public français avec son roman Meursault, contre-enquête (2013-2014).
Deux mondes, deux regards indépendants et pourtant complémentaires qui s’enrichissent mutuellement…
Infos pratiques
1, rue des Fossés Saint-Bernard 75005 Paris | |
Jusqu’au 31 juillet 2022 | |
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