Femmes photographes de guerre: l’empathie par-dessus le sang

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Christine Spengler, Bombardement de Phnom Penh, Cambodge, 1975 © Christine Spengler

«Cette guerre me bouleverse. Je ne fais que pleurer. Cette guerre me rappelle toutes mes images. Ma photo historique de Phnom Penh en 1975, c’est Kiev aujourd’hui. Ces enfants que j’ai photographiés dans tous les pays du monde, ce sont aussi quelque part ces enfants d’Ukraine. La guerre n’a pas changé. La tragédie est toujours la même». Ainsi exprime sa désolation la photographe de guerre Christine Spengler. Elle est une des huit femmes photographes dont leurs œuvres sont exposées au musée de la Libération (14e) jusqu’au 31 décembre. Gare! Il y a des images qui coupent le souffle.

L’exposition, co-organisée avec le Kunstpalast de Düsseldorf, ouvre le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Ce synchronisme a été sans doute souhaité dès la conception de l’événement. En revanche, le concours de circonstance a voulu que l’actualité frappe fort et devienne ainsi une invitée imprévue mais inévitable. «Nous sommes dans un musée d’histoire de la guerre donc forcément quand nous faisons des expositions on tombe toujours autour de ces histoires de guerre. Et malheureusement, le monde est toujours en guerre. On raisonne donc avec l’actualité ici. C’est une façon de faire le lien entre le passé et le présent», explique Sylvie Zaidman, directrice du musée et commissaire générale de l’exposition.

Femmes photographes de guerre met en évidence l’implication des femmes dans tous les conflits, qu’elles soient combattantes, victimes ou témoins. Huit regards uniques: les Allemandes Gerda Taro (née en 1910 et tuée sur le front en Espagne en 1937) et Anja Niedringhaus (née en 1965 et tuée lors des combats en Afghanistan en 2014); les États-uniennes Lee Miller (1907-1977), Susan Meiselas (1948) et Carolyn Cole (née en 1961); et les Françaises Catherine Leroy (1944-2006), Christine Spengler (1945) et Françoise Demulder (1947-2008). L’exposition couvre 75 ans de conflits internationaux entre 1936 et 2011: le plus ancien, la Guerre civile espagnole; le plus récent, la Guerre d’Afghanistan.

Ces photographes font appel à une grande variété stylistique et narrative. Leurs approches alternent entre le maintien d’une distance objective, le constat et l’implication personnelle. Christine Spengler ne montre pas les corps calcinés mais les ruines de Phnom Penh. Les cadavres photographiés par Gerda Taro ou par Carolyn Cole dérangent tout autant. L’approche de la première est frontale alors que la seconde donne un effet esthétique et calme à sa prise de vue. Catherine Leroy choisit la proximité immédiate avec son sujet et ses images interpellent.

À l’aide d’une centaine de documents, plus de 80 photographies, ainsi qu’une douzaine de journaux et de magazines originaux, l’exposition confronte le visiteur à un regard partagé sur la violence de la guerre. Elle questionne la notion de genre, interroge la spécificité du regard féminin sur la guerre, bouscule certains stéréotypes, montre que les femmes sont tout autant passeuses d’images que témoins de l’atroce. Sur les fronts depuis près d’un siècle, elles prennent des images sans cacher l’horreur des événements. Certaines y laissent la vie.

Dans les territoires de conflit, contrairement aux hommes, ces femmes ont souvent eu accès aux familles, dont elles ont réalisé des portraits particulièrement émouvants. Elles ont également été actives sur le front et pris des photos de victimes de guerre qui n’épargnent pas l’observateur. «Elles montrent la guerre de la même manière que les hommes. Ce qu’on a vu comme différence c’est qu’à certains moments ces femmes ont un regard plus appuyé sur les populations civiles… Elles ont plus d’empathie vis-à-vis des populations civiles. Elles regardent plus les femmes et les enfants».

Enfin, dernier point sur lequel cette exposition interpelle: le recadrage de la photographie et sa mise en scène pour l’adapter aux besoins de la presse. Employées par des agences ou des médias, elles doivent fournir des images «publiables», obéissant aux critères en vigueur au moment où elles réalisent les clichés. Il ne faut pas oublier qu’elles doivent publier pour vivre. C’est leur travail. Cela ne les empêche pourtant pas de choisir leurs sujets et de proposer des images très personnelles. Les clichés de ces femmes photographes de guerre mettent le spectateur face au destin des individus et face à l’histoire.

 

Infos pratiques

 

Place Denfert Rochereau 75014 Paris
Jusqu’au 31 décembre 2022
Site internet