Interview avec le président de la MCJP

Hitoshi Suzuki : «les Français perçoivent mieux le Japon aujourd’hui»

Hitoshi Suzuki dans son bureau

Hitoshi SUZUKI dans son bureau à la Maison de la culture du Japon à Paris / © PARISCOSMOP

Wilson OSORIO / Directeur PARISCOSMOP

 

Les temps ne sont plus aux clichés. En 1991, la première ministre française Édith Cresson traitait les Japonais de « fourmis jaunes » lors d’une interview à la chaîne ABC. « Nous ne voulons pas vivre comme ça, […] dans de petits appartements, avec deux heures de transport pour se rendre à son travail […]. Nous voulons garder notre Sécurité sociale, nos vacances et nous voulons vivre comme des êtres humains […] ». Aujourd’hui, Hitoshi Suzuki, président de la Maison de la culture du Japon à Paris (MCJP), se remémore ces déclarations « très, très péjoratives pour nous ». Lui et ses prédécesseurs sont les fer de lance de l’actuel boom de la culture japonaise en France. Toute une belle « revanche » !

 

Dans un pays comme la France, il n’y a pas de « revanche » plus belle que celle de le contre-attaquer avec son « arme » la plus redoutable : la culture. Le gouvernement japonais a mis tout en œuvre pour effacer le cliché d’un peuple qui ne profitait pas des plaisirs de la vie quotidienne. Il a notamment accéléré le projet de construction de la Maison de la culture du Japon à Paris, dont l’origine remontait à 1982. Les travaux ont démarré en 1994 et la cérémonie d’inauguration a eu lieu en 1997. Tous les arts japonais rayonnent maintenant en France depuis le 15e arrondissement de Paris. « Les Français perçoivent mieux le Japon aujourd’hui », affirme M. Suzuki.

 

La MCJP est de loin la plus grande institution de promotion de la culture japonaise au monde. D’une superficie d’environ 7 500 m2, elle est construite sur onze étages. Elle abrite également la programmation la plus variée et la plus diversifiée par rapport aux autres maisons de la culture du Japon dans les cinq continents : cours de japonais, expositions, spectacle vivant, cinéma, ateliers… Par ailleurs, elle est la seule à être financée par les secteurs public (la Japan Foundation et le ministère des affaires étrangères) et privé (Toyota, Shiseido, etc.).

 

Une reconversion professionnelle

Hitoshi Suzuki a visité plusieurs fois la France lorsqu’il était étudiant en littérature et philosophie françaises à l’Université de Tokyo. « Depuis lors j’aime bien ce pays et suis fasciné par sa culture ». Plus tard, deux séjours professionnels l’ont amené à Paris en tant que correspondant étranger pour la chaîne nippone NHK. Le premier en 1991 et le seconde en 2011. « Je suis arrivé au crépuscule des années Mitterrand. J’ai eu la chance de l’interviewer en tête à tête en 1993. C’était la dernière interview faite par un média japonais », affirme-t-il avec un brin de fierté.

 

Ce Tokyoïte a accepté son poste actuel à la MCJP juste après avoir pris sa retraite de la NHK. « Une espèce de reconversion professionnelle », dit-il amusé. Affable et mesuré dans sa gestuelle, il n’ose hausser la voix et afficher un grand sourire que pour manifester son enthousiasme de vivre à nouveau à Paris. « Pour moi c’était tout à fait naturel de choisir le poste qui me permettrait d’habiter cette capitale de la culture mondiale ».

 

Les raisons d’un engouement

De ce dernier séjour, il exprime son étonnement de voir que la culture japonaise est devenue si populaire chez les Français. « Non seulement la culture traditionnelle, mais aussi celle qu’on appelle la pop culture et d’autres domaines culturels contemporains. En tant que président de la MCJP, je crois avoir saisi le bon moment ! ». Cela n’était pas le cas lors de ses deux premiers séjours. « Il y a 30 ans, il y avait des admirateurs de la culture japonaise, mais c’était plutôt limité à la littérature classique ou bien aux estampes japonaises ukiyo-e. Cette fois-ci, j’ai l’impression que les Français s’intéressent à des aspects très variés de notre culture ».

 

M. Suzuki explique que ce nouvel engouement chez les Français trouve en partie son origine dans les mangas et les animés japonais. « En les lisant et en les regardant, ils ont appris beaucoup de choses sur la cuisine populaire japonaise par exemple : les ramen, les sushis… Ces spécialités étaient déjà connues mais les manger dans la vie quotidienne à Paris était limité. Maintenant, partout dans Paris, il y a des restaurants japonais tenus non seulement par des Japonais mais aussi par des Chinois, Vietnamiens, Cambodgiens. D’ailleurs, notre gouvernement n’est pas content qu’il y ait autant de restaurants japonais qui ne sont pas authentiques. Mais cela témoigne quand même du fait que notre cuisine est vraiment populaire ».

 

Échanges culturels bilatéraux

Après la Seconde Guerre mondiale, les Japonais donnaient plus d’importance à la culture française qu’à celle des Etats-Unis. Il y avait beaucoup de nippons qui apprenaient le français à l’université. A contrario, peu de français étudiaient le japonais ou s’intéressaient à la culture japonaise. Les échanges culturels bilatéraux étaient en sens unique. La situation s’est aujourd’hui renversée.

 

« Aujourd’hui il y a un boom de notre culture partout dans l’Hexagone. J’ai pu le constater dans un voyage récent à Aix-en-Provence. J’étais très ému de trouver de nombreux admirateurs de notre culture et de parler avec beaucoup de collectivités locales qui essayaient de nouer des liens avec le Japon. D’autre part, si on voit la situation actuelle dans mon pays, il y a beaucoup moins d’étudiants qui s’intéressent à la culture française ou qui étudient le français. Aujourd’hui, au Japon, il y a une sorte de dominance de la culture américaine. Hélas ! La situation est un peu lamentable ».

 

Différences et similitudes

À première vue, il paraîtrait que la culture japonaise et la française n’ont rien en commun. À première vue… Hitoshi Suzuki paraphrase Claude Lévi-Strauss pour faire remarquer la distance qui sépare les deux pays. L’anthropologue français d’origine belge avait la coutume de dire que les Français étaient des cartésiens conceptuels et que les Japonais étaient des cartésiens esthétiques. « Cartésiens » semble donc être le seul trait commun entre les deux cultures, mais M. Suzuki en rappelle d’autres.

 

« Nous sommes deux peuples qui donnent beaucoup d’importance à l’artisanat et aux artisans. Traditionnellement, la France respecte le travail fait à la main. Cela est identique dans notre culture. Nous partageons également le goût de la gastronomie. Et il y a une autre chose difficile à expliquer clairement. Ce n’est pas tout à fait identique dans nos deux cultures mais il y a une disposition et un respect pour la subtilité. Dans la culture française, la clarté est très importante. Mais je sens que d’autre part les Français aiment bien l’ambiguïté. Et cela correspond à la quintessence de notre culture ».

 

Quelle est la dernière exposition que vous avez visitée ?

« « Hiroshigue et l’éventail » au musée Guimet. J’ai beaucoup apprécié la qualité des éventails exposés, les images, les estampes, le dessins d’Hiroshigue… Je n’avais jamais vu au Japon une telle quantité d’estampes écrites et peintes sur des éventails. Ce qui m’a le plus étonné c’est qu’il s’agit d’une collection personnelle de Monsieur Georges Leskowicz. C’est très impressionnant de trouver ce genre de collections et de cette envergure à l’extérieur de nos frontières ».

 

Le dernier film ?

« La série « C’est dur d’être un homme » (Otoko wa tsurai yo). Des 50 épisodes, j’ai pu en voir au moins une quarantaine. Je dois avouer qu’avant de venir cette fois-ci à Paris, je ne l’avais jamais vue au Japon. Je suis resté fortement impressionné. Cela a enrichi ma vie ».

 

Un restaurant ?

« « Le Recepteur » (Paris, 16e). Les chefs sont des grecs et leur cuisine est plutôt méditerranéenne. Des plats de qualité. On y mange beaucoup de légumes, ce qui est très bon pour la santé ! ».

 

Un endroit cosmopolite ?

« Cette question me laisse un peu perplexe (rires) parce que Paris en soi est déjà une ville cosmopolite. Il est donc très difficile de choisir. Par pure plaisanterie, je me décide pour la place de Kyoto [Elle se trouve tout en bas de son bureau, au parvis de la MCJP, ndlr]. Il y a beaucoup de touristes qui viennent de partout pour aller visiter la tour Eiffel. Vous pouvez profiter non seulement de l’incandescence de la culture japonaise mais aussi vous pouvez voir des marchands clandestins qui vendent la tour Eiffel en miniature, de chapeaux et de n’importe quoi… (rires) ».