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Joséphine Baker: la diversité et l’art entrent au Panthéon
Joséphine Baker au châteu de Milandes (Castelnaud-la-Chapelle), 26 juin 1961 / Jack de Nijs (Anefo) – Wikimédia Commons
- 25 novembre 2021
- 29 avril 2022
Temps de lecture: 4 minutes
Par Wilson OSORIO
De toutes les raisons pour panthéoniser Joséphine Baker, une seule fait presque l’unanimité: son engagement contre le racisme. Presque… parce que ses détracteurs les plus exaltés lui reprochent de n’avoir jamais critiqué l’empire colonial français ni la guerre d’Algérie. Pourtant, la décision d’Emmanuel Macron de la glorifier le 30 novembre prochain soulève beaucoup plus d’adhésions que d’oppositions. Première femme noire et première artiste à être honorée au Panthéon, c’est aussi la diversité et la culture populaire qui se glissent avec elle dans ce lieu «immaculé».
«Artiste de music-hall de renommée mondiale, engagée dans la Résistance, inlassable militante antiraciste, elle fut de tous les combats qui rassemblent les citoyens de bonne volonté, en France et de par le monde». Ainsi est dépeinte Joséphine Baker dans le communiqué de l’Élysée d’août dernier annonçant sa panthéonisation. À cette description officielle sur ce qu’elle incarne, on peut ajouter: officier de l’armée de l’air, agent de renseignement, activiste des droits civiques, chanteuse internationale, femme libre, puissante, indépendante, combattante…
Une femme aux multiples facettes
Pour autant, Joséphine Baker était une femme aux multiples facettes. Ses détracteurs signalent surtout ses maladresses. Pour les uns, elle a fait preuve de frivolité en acceptant d’être l’image de l’empire colonial français pendant l’exposition coloniale de 1931 (elle a finalement été mise à l’écart par le commissaire de l’événement, mais les Chemins de fer français ont malgré tout imprimé des milliers d’affiches en plusieurs langues à son effigie). Pour les autres, elle s’est comportée de manière naïve en donnant son soutien public à Benito Mussolini, fondateur du fascisme, lors de l’invasion de l’Éthiopie en 1936.
Certes, Joséphine Baker n’est pas une figure immaculée. En même temps, elle ne s’est jamais vantée de l’être. Même si les versions officieuses sont moins flatteuses, nul ne peut contester la femme exceptionnelle qu’elle a été. L’exposition du Musée de l’Homme, Portraits de France, qui met en lumière 29 femmes et 29 hommes issus de l’immigration et des Outre-mer, dresse une description assez décantée de son parcours de vie:
«Née à Saint-Louis [Missouri, États-Unis, 1906], elle s’engage très jeune dans une troupe de danseurs qui sillonne les États-Unis, mais c’est à Paris au théâtre des Champs-Élysées en 1925 qu’elle se fera connaître. Elle danse vêtue d’un simple pagne de bananes sur un rythme inconnu en Europe, le Charleston. En 1937, Joséphine Baker obtient la nationalité française après son mariage. Durant la guerre, elle sillonne le front pour remonter le moral des soldats. Dès juin 1940, elle use de sa notoriété pour recueillir des informations pour la Résistance et intègre l’armée de l’air avec le grade de sous-lieutenant. Décorée de la médaille de la Résistance puis, de la Légion d’honneur, elle est aux côtés de Martin Luther King en 1963 pour la lutte des droits civiques. Décédée en 1975, après un dernier succès à Bobino, elle reçoit les honneurs militaires puis entre au Panthéon le 30 novembre 2021».
Des contradictions: la France, Macron…
Dans l’édito du hors-série de L’Obs dédié à Joséphine Baker, les journalistes Éric Aeschimann et Doan Bui écrivent: «notre pays aime se mirer dans le miroir de Joséphine, c’est si flatteur. Mais ne prend-on pas ainsi le risque d’effacer les moments, d’hier et d’aujourd’hui, où la «France éternelle des Lumières universelles» a contredit son idéal d’accueil?». Dans le mêmes pages, on cite des exemples «d’hier et d’aujourd’hui». Les plus explicites sont ceux de la journaliste et documentariste Rokhaya Diallo, qui dans une tribune reléguée aux dernières pages, pointe du doigt: «la France qui applaudissait Joséphine Baker était aussi celle qui opprimait mes aïeux colonisés, les exhibait dans de zoos humains et pratiquait toujours les travaux forcés (abolis en 1946, soit près de cent ans après l’abolition de l’esclavage) dans les colonies. Tandis que la France glorifie Joséphine au Panthéon en se félicitant d’incarner, dixit l’Élysée, «la France éternelle des Lumières universelles», elle discrimine massivement sur le marché du travail et dans l’accès au logement, et se voit régulièrement condamnée par des instances internationales du fait de ses violences policières racistes…».
Joséphine Baker n’est donc pas la seule à avoir des contradictions. Celles de la France ne sont pas moindres. Et celles d’Emmanuel Macron, non plus. «Ne peut-on voir dans la décision du président, candidat à un deuxième mandat, une forme d’opportunisme politique?», c’est la question que Marie Lemonnier, journaliste à L’Obs, pose à l’historien Pascal Blanchard, qui répond: «Il y a toujours de l’opportunisme dans une panthéonisation. Il est certain que celle de Joséphine Baker va symboliquement lancer la campagne électorale d’Emmanuel Macron, qui avait ouvert celle de 2017 en parlant de la colonisation comme d’un «crime contre l’humanité». C’est évidement pour lui une manière de retrouver un des piolets de la gauche dans une campagne qui risque d’être très à droite, et ainsi de répondre à Zemmour tout en gagnant des voix à peu de frais».
Des revendications et des replis identitaires
L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon se fait dans un contexte de nombreuses revendications et de replis identitaires exacerbés durant le quinquennat Macron. Ces débats agitent non seulement la Société française mais aussi le reste de l’Europe, les États-Unis et bien d’autres pays. Le meurtre de George Floyd commis le 25 mai 2020 par un policier États-unien a rencontré une puissante résonance chez les noires de France, à l’étonnement des responsables politiques. De nombreux citoyens ont participé à la manifestation organisée par le Comité Adama Traoré le 2 juin 2020 à Paris. Plusieurs pancartes, brandies lors de la marche de protestation ont exhibé le slogan du mouvement Black Lives Matter, né aux États-Unis en 2013.
«Cette panthéonisation ne peut pas invisibiliser les paradoxes actuelles… La mort de Georges Floyd en 2020 a soulevé énormément des questions dans le monde, et en France la mobilisation a été parmi les plus importantes en Europe… Reconnaître la figure historique de Joséphine Baker ne doit pas empêcher d’agir politiquement aujourd’hui, en 2021», tranchait Rokhaya Diallo, suivi d’applaudissements, lors d’une table ronde organisée au Musée national de l’histoire de l’immigration le mardi 16 novembre dernier.
Une seule ligne traversière
Joséphine Baker a connu les lynchages dans le Missouri, les abus quand elle travaillait comme bonne chez les blancs, la ségrégation raciale… On la voit bien participer aujourd’hui à une de ces marches de protestation contre le racisme accompagnée de sa tribu arc-en-ciel. Lors de celles organisées partout dans le monde entier en hommage à Georges Floyd, elle aurait sûrement brandi une pancarte avec le slogan Black Lives Matter ou crié de toutes ses forces I can’t breath. Lutter contre le racisme et en faveur de la fraternité universelle était sa seule ligne traversière, incontestablement nette, sans détour.
Il y a un beau paradoxe qui synthétise adroitement le parcours vital de cette femme hors du commun. À Paris, Joséphine Baker se déhanche vêtue d’un simple pagne de bananes qui bougent dans tous les sens… A Washington, pendant la marche pour les droits civiques en 1963, ce sont de médailles qui pendent de son uniforme militaire des Forces françaises libres. «This is the happiest day of my entire life», confie-t-elle à la foule depuis la tribune où elle est invitée à parler. «I have a dream», lance Martin Luther King à l’humanité…